par Olivier Paradis,
Conseiller Historique de l’association
Août 2025
Lorsque le roi Louis XVI confia au comte de Saint-Germain, le ministère de la Guerre, le roi savait que son nouveau ministre, ce « Jean-Jacques rousseau en bottes », mènerait à bien, les réformes nécessaires à l’Armée. Après les désastres de la Guerre de Sept ans, une réorganisation, tant technique que morale s’imposait. Parmi les chantiers entrepris, celui de la formation des officiers était une priorité.
La première École royale militaire
Depuis Henri IV, la question de la formation des officiers de l’armée est posée, sans lui donner de véritables réponses. Il faut attendre le siècle des Lumières et le ministériat de Choiseul, pour que s’ouvre sous Louis XV, l’Ecole militaire du Champs de Mars à Paris en 1756, et que soit transformé en école de cadets, préparatoire à l’Ecole de Paris, le vieux collège de La Flèche en 1764. Ces décisions avaient été prises après les avis réitérés du Maréchal de Saxe qui, imputait une partie des échecs des guerres de succession d’Autriche et surtout de la guerre de Sept ans, à un manque de formation des officiers de l’armée royale.
Cependant, les résultats de la nouvelle institution n’étaient pas au rendez-vous. Force était de constater un manque de modernité et un niveau moyen des connaissances enseignées, alliées à une médiocrité de l’encadrement des élèves. Ces derniers étaient apparemment plus aptes à « faire le mur » et à découvrir la vie parisienne, que de s’enquérir des conquêtes d’Alexandre, du détail des calculs de paraboles ou de la grammaire latine.
La réforme du comte de Saint-Germain
Ce mauvais fonctionnement de l’École parisienne du Champs de Mars entraîne une réaction rapide du nouveau ministre qui, par une ordonnance royale du 1er février 1776 supprime les deux Écoles de Paris et de la Flèche, porte à six cents le nombre des élèves de l’Ecole militaire et fixe les grandes lignes des nouvelles structures. Une autre ordonnance du 27 mars 1776 confirme la suppression des Écoles de Paris et de La Flèche et les remplace par les Écoles militaires de province. Le lendemain 28 mars, les collèges choisis reçoivent le nom d’Écoles royales militaires et l’ordre d’accueillir les élèves du roi. Cette célérité s’explique par une préparation minutieuse du projet dès la prise de fonction de Saint-Germain nommé le 10 octobre 1775. Un mémoire réalisé à la demande du nouveau ministre dès la fin de ce même mois d’octobre 1775, présente les grandes lignes du projet, et désigne les principales maisons pouvant être concernées par la dispersion des élèves de Paris et de La Flèche (cf. Service Historique de l’Armée de Terre. Ya 158, carton Ecoles militaires, dossier Vendôme).
Le choix, en plus de La Flèche, de onze collèges de province tenus par des religieux peut paraître singulier et suscite à l’époque bon nombre de critiques. Les raisons principales qui ont poussé le ministre à adopter ce projet, procèdent à la fois d’un aspect pratique et d’une volonté politique. En 1776, l’enseignement se ressent encore de l’expulsion des Jésuites et l’Université ne peut pas tout assumer. Les établissements choisis doivent aussi posséder une certaine taille, afin d’accueillir un nombre de cinquante à soixante boursiers, tout en conservant leurs pensionnaires car il est obligatoire dans l’esprit de Saint-Germain que les élèves du roi soient mêlés aux autres. Sur le plan politique, il s’agit de toucher tous les nobles retirés des affaires publiques, qu’il s’agisse de véritables hobereaux vivants dans d’anciens manoirs, mais aussi les nobles qui vivent aisément et mènent d’oisives existences. Le roi et Saint-Germain pensent qu’il faut rendre à la petite noblesse une part de responsabilité dans le fonctionnement des institutions du royaume, et l’encadrement de l’armée royale convient parfaitement à leur position ancestrale de soldats du roi.
La création de ces onze Ecoles allait enfin permettre la formation d’un grand nombre d’officiers instruits et dont la valeur ne tardera pas à être reconnue et pour un petit nombre d’entre eux, dès la guerre d’indépendance américaine. Le fait de confier cette éducation à des religieux est aussi une démarche politique et philosophique à laquelle Saint-Germain tient beaucoup. Dans ses réformes concernant la troupe, il a déjà interdit le jeu, les femmes, les dettes et rendu obligatoire la présence du soldat à la messe. Ces mesures avaient entraîné un certain mécontentement parmi les soldats, très certainement prêts à devenir vertueux mais pas à n’importe quel prix. Pour Saint-Germain, l’éducation d’un officier ne peut pas se concevoir sans une instruction religieuse qui fonde le sens moral et la vertu, d’où la sélection de onze Écoles de province, tenues par des ordres religieux dont le sérieux et la piété sont reconnus. Voici dans l’ordre alphabétique, ces établissements avec le nom du département actuel dont ils dépendent (d’après Service Historique de l’Armée de Terre Ya 158. Liste des écoles royales militaires).
– Auxerre (Yonne),
– Beaumont-en-Auge (près de Pont-l’Evêque dans le Calvados),
– Brienne-le-Château (Marne),
– Effiat (Puy-de-Dôme),
– Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle),
– Pontlevoy (Loir-et-Cher),
– Rebais (Seine-et-Marne),
– Sorèze (Tarn),
– Thiron (Eure-et-Loir),
– Tournon-sur-Rhône (Ardèche),
– Vendôme (Loir-et-Cher).
Cette liste est très proche des premières intentions du comte de Saint-Germain qui apparemment avait surtout envisagé le soutien de la congrégation de Saint-Maur pour réaliser son projet.
Ces collèges sont tenus par quatre ordres religieux différents :
– Bénédictins (dépendant de la congrégation de Saint-Maur) : Auxerre, Beaumont, Pontlevoy, Rebais, Sorèze, Thiron ;
– Oratoriens : Effiat, Tournon, Vendôme ;
– Minimes : Brienne ;
– Chanoines de Saint-Sauveur : Pont-à-Mousson.
Le projet initial comprenait douze collèges mais la transformation de celui de Dôle s’avère trop complexe pour être poursuivie. Les hésitations avec lesquelles se fait le choix des onze collèges trahissent les grandes difficultés rencontrées par le ministère pour trouver les établissements qui correspondent le mieux aux intentions du comte de Saint-Germain. Celui-ci a déjà évoqué cette difficulté dans son mémoire au roi : « Peut-être dans le moment actuel ne pourrait-on pas trouver ces dix collèges. Il faudrait alors, et jusqu’à ce qu’ils fussent établis, placer un grand nombre d’élèves dans ceux qui sont en état de les recevoir. » Mémoire de Saint-Germain.
Le ministre insiste pour connaître la capacité d’accueil des élèves car il est très important que les boursiers royaux ne se retrouvent pas entre eux et renouvellent en province, l’état d’esprit de l’École de Paris. Il est impératif que les élèves du roi soient mêlés à des pensionnaires, nobles ou roturiers. Cette promiscuité scolaire se traduira par la suite, avec de nombreux mariages avec les sœurs des camarades de classe. Devenant beaux-frères, ils poursuivant une amitié liée sur les bancs de l’École et forment ainsi un réseau de solidarité, tant familial que professionnel ou politique.
Répartition des Écoles royales militaires

Le document utilisé est la représentation de la France dans ses frontières actuelles.
Les luttes d’influence des congrégations et des autorités locales semblent avoir joué un rôle considérable dans la désignation de certains établissements, tout comme la protection des gens de Cour. L’influence de la Cour a indéniablement joué pour Tournon et Rebais, et très probablement pour Beaumont-en-Auge et Thiron. Ces quatre établissements sont à l’époque en stagnation d’effectifs et possèdent un encadrement médiocre. Les problèmes de discipline à Beaumont et de qualité des maîtres à Thiron le prouvent par la suite. Le collège de Tournon est si petit que ses pensionnaires sont logés dans des maisons de ville, pensions d’une dizaine d’élèves hors les murs de l’institution. Lorsqu’il est inscrit en mars 1776 parmi les futures Écoles militaires, il est encore sous l’autorité de l’Université de Valence qui ne le cède à l’Oratoire que le 16 août suivant. (cf. Rapport sur l’instruction publique du 1er mars 1792. District du Mézenc. Archives départementales de l’Ardèche. L 1243-2.)
Le renouveau de l’Abbaye de Rebais est récent. Après un repli manifeste depuis le XVIème siècle, l’Abbaye est sauvée de la ruine en 1661 par l’accord passé avec la congrégation de Saint-Maur et la mise en place d’un enseignement en externat. Mais ce n’est qu’à partir de 1760 qu’un nouveau supérieur, Dom Druon conçoit le projet d’établir un pensionnat. C’est ce nouveau collège, contenant une cinquantaine de pensionnaires seulement qui est choisi en 1776. (cf. MOUSSEAUX M. Rebais Historique et son Abbaye. p. 47)
Dans ces trois cas, les protecteurs sont connus, l’archevêque de Cambrai pour Rebais, le duc d’Orléans pour Beaumont-en-Auge et le prince de Rohan-Guéméné, seigneur de Tournon, pour cette dernière ville.
Recommandés ou non, ces collèges n’ont pas été faciles à choisir et leur répartition géographique en témoigne. La concentration des Ecoles militaires dans la moitié nord du royaume, si elle recouvre la réalité du potentiel d’établissements d’enseignement de l’époque, n’en a pas moins des conséquences inattendues. Saint-Germain et ses successeurs assurent que la désignation des places ne peut pas se faire en fonction des lieux de domicile, mais seulement par rapport aux places vacantes. Or, la pression des familles est telle, que dans la pratique les élèves sont nommés pour la plupart dans l’établissement le plus proche de leur résidence. C’est vrai pour Effiat qui se trouve à une distance considérable des autres Ecoles et de ce fait, recrute sur un grand territoire mais concentre un très grand nombre d’Auvergnats et de Bourbonnais. Cette caractéristique n’est apparemment pas spécifique d’Effiat. La présence d’un tel établissement dans une province incite un certain public à s’y rendre. Les effectifs des pensionnaires payants triplent à Effiat et quadruplent à Sorèze. Cette conséquence de la décentralisation de l’Ecole militaire est du reste projeté par Saint-Germain dès 1775 : « En multipliant ces établissements on entretient l’émulation et en même temps l’éducation générale en profite par la facilité qu’ont les autres parents d’y envoyer leurs enfants. » La même ordonnance du 28 mars 1776 touche aussi l’École de La Flèche, elle rétablit la fondation initiale d’Henri IV de 1603, en faveur de cent gentilshommes pauvres de la noblesse de robe, destinés à la magistrature ou aux ordres (Service Historique de l’Armée de Terre Ya 157 et ISAMBERT, Recueil général des anciennes lois françaises, tome XXIII, p. 509).
Un enseignement moderne
C’est ainsi que s’ouvre en France, une période d’expérimentation pédagogique pleine de la modernité de son temps. Les élèves apprennent les langues vivantes, des mathématiques à haut niveau, la géographie et l’Histoire sur tous les continents, accomplissent des expérimentations scientifiques, cultivent les Arts et pratiquent des exercices physiques. Les programmes et certains livres de cours sont communs à toute les Écoles, en plus d’un corps d’inspecteurs qui visite tous les ans chaque établissement ; comme les prémices d’une éducation nationale.
Si l’arrivée des événements de l’année1789 provoque plutôt de l’enthousiasme dans bon nombre d’établissements : très rapidement la radicalité de la Révolution inquiète les esprits. La chute de la monarchie et l’émigration massive des parents d’élèves nobles décident les nouvelles autorités à fermer les établissements en 1793.
Cette institution des Écoles Royales militaires a pourtant réussi, en seulement 17 années de fonctionnement, à former une élite de la Nation, qui, malgré les soubresauts parfois tragiques de la Révolution, se retrouve à la direction de la France au travers des postes administratifs ou électoraux, tant militaires que civils, que les anciens élèves occupent jusqu’au milieu du XIXème siècle.